Les psychiatres
Psychiatres
: psychanalystes et cognitivo-comportementalistes
Lors d'une récente réunion dans une association de
parents de personnes handicapées mentales, une certaine confusion teintée de
bonne humeur a accueilli la présentation d'un rapport d'activité faisant état
des discussions entre psychiatres, psychanalystes
et cognitivo-comportementalistes.
Il est vrai que le jargon médical, et en particulier en santé mentale, est
assez souvent hermétique et peu parfois prêter à sourire quand il n'incite
pas plutôt à pleurer.
Par delà ces considérations linguistiques, les
concepts en discussion sont au cœur d'une querelle qui, loin d'être uniquement
de chapelle, risque d'avoir des implications extrêmement importantes sur la
prise en charge des personnes handicapées mentales. De quoi s'agit il?
Dans les vingt à trente dernières années, les
psychiatres français ont été très largement influencés par le mouvement
psychanalytique. Leurs collègues étrangers également, mais à un moindre degré,
et surtout ces derniers ont assez rapidement fait la part des choses. Certains
troubles mentaux pouvaient bénéficier de la psychanalyse et d'autres non.
En raccourci, les psychiatres psychanalystes cherchent
dans l'inconscient les causes anciennes des troubles mentaux pour résoudre les
problèmes actuels de leurs patients. Les psychiatres cognitivo-comportementalistes
essaient de résoudre ces problèmes en fonction de la situation concrète présente.
Sur un ton humoristique, un
ami psychiatre me décrivait ainsi la différence d'approche :
<< Supposons
que tu ais un problème d'impuissance. Si tu vas voir un psychiatre psychanalyste,
au bout de quelques années de thérapie,
tu sauras pourquoi tu es impuissant. Tu seras toujours impuissant mais tu
sauras. Si tu vas voir un psychiatre cognitivo-comportementaliste,
il est fort probable qu'il puisse t'aider à retrouver tes fonctions, mais
tu ne sauras pas pourquoi tu étais devenu impuissant. >>
Pour faire un tout petit peu d'histoire, le mouvement
psychanalytique était une réaction au modèle purement comportementaliste qui
expliquait les problèmes mentaux uniquement en termes de "stimulus-réponse",
ne cherchant pas à comprendre plus loin que dans des causes immédiates les
comportements des patients. Les deux grands noms de cette école de pensée sont
bien sur Pavlov et Skinner. Tout comportement est considéré comme une réponse
à un stimulus soit immédiat, soit évoqué par un autre stimulus. Le chien de
Pavlov réagit à la présentation de nourriture : stimulation directe. Le chien
qui a reçu de la nourriture après avoir entendu une sonnerie va réagir à la
sonnerie même en l'absence de nourriture. De ces recherches sur le monde
animal, les cliniciens ont tiré des thérapies dites
"comportementales" principalement fondées sur les renforcements
positifs des comportements désirables et des renforcements négatifs des
comportements indésirables. La recherche devait assez rapidement se rendre
compte du manque d'efficacité des approches négatives, parfois appelées
"aversives". On appelle parfois cette technique "le
conditionnement opérant". Elle a très mauvaise presse dans le milieu de
l'éducation spéciale en France où elle est assimilée à du
"dressage".
Bien que donnant d'assez bons résultats au niveau thérapeutique,
ce modèle n'expliquait pas un très grand nombre de comportements bizarres et
la psychanalyse a essayé de combler ces lacunes par des interprétations fondées
sur le "subconscient", en particulier sur les expériences enfouies
dans la mémoire profonde de la petite enfance, voire pour certains dans les expériences
prénatales. Bien sûr plusieurs écoles au sein de ce mouvement se disputent la
validité des analyses qu'elles entreprennent auprès des patients. L'hypothèse
de ces thérapies est qu'en retrouvant la situation traumatisante initiale, pour
le moment enfouie dans l'inconscient, le patient pourrait la prendre en compte
au niveau conscient et donc être guéri.
Le manque de résultats de ces approches dans un très
grand nombre de pathologies mentales a conduit un grand nombre de psychiatres et
de psychologues, en particuliers anglo-saxons, à remettre en cause l'approche
psychanalytique. La recherche en neuropsychologie avait entre temps fait d'énormes
progrès. On a commencé à mieux comprendre les processus de construction de la
pensée. Ces recherches ont conduit au mouvement dit "cognitiviste",
qui devait déboucher sur le vaste domaine des "neuro-sciences". Ces
nouvelles connaissances ont été intégrées au modèle comportementaliste précédent
en l'enrichissant, prenant en compte les processus de pensée à l'intérieur du
cerveau et pas seulement les mécanismes "stimulus-réponse" du modèle
comportemental classique. Le mariage au niveau thérapeutique de ces deux
courants de pensée a donné naissance à l'approche "cognitivo-comportementale".
Cette approche très pragmatique des pathologies
mentales permet des thérapies efficaces et moins mécaniques que celles précédemment
utilisées par les comportementalistes purs. Dans le cas de handicap mentaux des
prises en charges cohérentes et adaptées aux divers types de processus mentaux
qui sous-tendent les modes d'apprentissages des personnes concernées.
Nous avons donc aujourd'hui deux principaux courants
de pensée vis à vis de la maladie mentale et du handicap mental :
·
Le
mouvement "psychanalytique" fondé sur les recherches en psychanalyse principalement axées sur la
"réparation du subconscient passé".
·
Le
mouvement "cognitivo-comportemental" issu de la psychologie cognitive et comportementale,
se préoccupant plus concrètement de la situation présente des personnes et
des actions à entreprendre pour l'améliorer.
Il est très important de réaliser que le premier
courant à caractère psychanalytique est très largement dominant dans nos établissements.
Il domine la formation des éducateurs spécialisés dans la plupart des IRTS.
La plupart des psychologues cliniciens reçoivent une formation de ce type. Un
grand nombre de services hospitaliers psychiatriques sont aussi dans ce courant
de pensée. Ils rejettent catégoriquement l'approche cognitivo-comportementale
dont ils ne retiennent que l'aspect comportemental.
Toutefois, la plus grande efficacité des approches
cognitivo-comportementales commence à être reconnue, entre autres suite à la
demande des parents de personnes autistes qui ont été les premiers à
s'alarmer du manque de résultats de l'approche psychanalytique. Il faut noter
que progressivement les milieux psychiatriques et psychologiques français évoluent
dans cette direction L'ensemble des personnes handicapées mentales
profiteraient de ces approches cognitivo-comportementales dont le caractère
concret conduit à des prises en charges de bon sens et efficaces. En effet, si
on peut considérer que la psychanalyse puisse être une approche thérapeutique
de la maladie mentale, elle ne prend pas en compte la spécificité cognitive
des personnes handicapées mentales ou autistes, et les méthodes éducatives
qu'elles impliquent.
Cette évolution n'est pas facile à faire admettre
car elle se heurte au lobby psychiatrique fortement influencé par la
psychanalyse, mais aussi au fort courant de pensée favorable à la psychanalyse
qui domine l'ensemble des intellectuels français, repris par les média dans
une belle unanimité de l'Humanité
au Figaro ainsi que par les
hebdomadaires français grand public, la radio et la télévision.
Comme le faisait remarquer un parent de personne
autiste <<Avant dans les réunions intello
on avait le "curé de service"
maintenant c'est "Le
psychanalyste de service">>
La qualité des services apportés aux personnes
handicapées mentales doit pouvoir dépasser ce genre de considérations. Nous
devons évaluer avec sérénité les résultats des prises en charges et décider
pour le mieux des nos enfants.
Paul Tréhin
Pour en savoir
plus:
Roger Perron, "Histoire
de la psychanalyse", Collection "Que Sais-je", PUF, Paris 1988
André Green, "Un psychanalyste face aux neurosciences",
La Recherche
N°247, Volume 23, Octobre 1992
E.
Zarifian, "Les Jardiniers de la Folie", Editions Odile Jacob, Paris 1988
François Lelord, "Les
contes d'un psychiatre ordinaire", Collection "Psychologie",
Editions Odile Jacob, Paris 1993
Dossier "De Freud aux
Neurobiologistes, nos rêves et nos pulsions explorés", Eureka N°33,
Juillet 1998 N°33
1.
Pascal Maupas,
"Le ressort caché de l'existence"
2.
Edouard Zarifian,
"Le petit Freud expliqué"
3.
Avigal Amar,
"Psychanalyse et Neurosciences : les soeurs ennemies"
Dossier "Psychothérapies et
développement personnel", Sciences Humaines N°26, Mars 1993
1.
Edmond Marc,
"Le développement des 'nouvelles thérapies' "
2.
Jean François Dortier,
"La démarche complexe en psychothérapie"
3.
Jacques Lecomte,
"La thérapie cognitive. La pensée au service du bien être"
4.
Achille Weiberg,
"Stratégies mentales et développement personnel"
5.
Jacques Lecomte, "L'évaluation
des psychothérapies. Une nécessité indispensable"